Diffusion des billets amoureux

La question de la réputation des dames, mise au premier plan par l’affaire des “Fouquetleaks”, donne lieu à une interrogation précise, portant sur la diffusion des billets amoureux ou galants. La littérature se fait l’écho de ces inquiétudes par divers biais.

Tout d’abord, en réaction au danger que représentent les billets pour la réputation des dames, une tentative de codification des pratiques voit le jour, afin de lutter contre l’indiscrétion épistolaire. Elle prend majoritairement deux formes.

1) Plusieurs textes s’adressent directement aux hommes, en insistant sur le fait qu’il est indigne de rendre publics des billets et en vantant la discrétion en général :

tiennent le même discours que les auteurs divers, parfois anonymes de pièces galantes et questions d’amour Le “Contrat d’inclination” proposé dans la Suite du nouveau recueil de plusieurs et diverses pièces galantes (1665) fait dire à l’amant : « Qu’il lui sera toujours fidèle / Et que, comme un amant discret, / Sur les faveurs qu’il aura d’elle / Il saura garder le secret” (p.134)
La réponse à une des questions d’amour de Charles Jaulnay est dans la même veine : “Si l’on cesse d’être honnête homme de se déchaîner contre une infidèle, et de montrer ses lettres.
Si l’on se déchaîne jusqu’à parler, et à montrer les lettres d’une infidèle quelque temps après la rupture afin de triompher de la tendresse et satisfaire notre vanité, c’est agir en malhonnête homme ; mais si l’on a des emportements dans le propre temps de la rupture, comme ils sont encore tous mêlés d’amour ils sont pardonnables, c’est l’amant qui agit encore, qui n’a rien à démêler avec l’honnête homme” (Questions d'amour ou conversations galantes dédiées aux belles, 1671, p. 129).
Et si encourager les hommes à la discrétion ne devait pas suffire, on a recours à la menace, comme dans cette pièce d’un recueil de Maximes et lois d’amour, lettres, billets doux et galants, poésies (1669) : « Je veux quiconque osera dire / Ou se vanter d’une faveur / Qu’il soit banni de mon empire / Et qu’on lui déchire le cœur / Je veux que le remords l’accable / Et que vivant en misérable / Rien ne le puisse consoler. » (p.127)

2) L’autre versant de cette codification s’adresse aux femmes, à qui l’on conseille de se montrer discrètes ainsi que d’éviter de laisser des traces écrites de leur liaison. De tels propos sont tenus par

et se retrouvent également dans des questions et maximes d’amour. Certaines des Questions d'amour ou conversations galantes dédiées aux belles, (1671) de Charles Jaulnay portent sur le comportement que doivent adopter les femmes dans la gestion de leur correspondance :
« S’il est honnête à une femme de demander ses lettres quand elle a rompu ? » et « Quel est le plus sûr de les demander ou non ? ». à quoi on répond qu’« A moins d’être bien assuré d’avoir toujours conservé un grand empire sur un amant, il est dangereux de redemander les lettres, non seulement pour la honte du refus, mais aussi parce que cette demande qui est outrageante en plusieurs sens, pourrait porter un amant à ce dont jamais il n’eut été capable sans ce procédé » (p.126).

La même recommandation est formulée dans les “Maximes d’amour pour les femmes” qu’on peut lire au sein du recueil Maximes et lois d’amour, lettres, billets doux et galants, poésies, 1669 : « Aimez, mais d’un amour couvert / Qui ne soit jamais sans mystère / Ce n’est pas l’amour qui vous perd / C’est la manière de le faire » (p 127).
Cette entreprise de régulation s’adresse également aux amants, afin de leur intimer de se montrer discrets.
« Je veux qu’on se cache si bien / Nourissant ses flammes secrètes […] / Hommes, femmes, veuves, galants, / Couvrez vos feux de ces talents/Et soyez discrets et discrètes / Lors ménageant les cœurs offerts / Mes paradis vous sont ouverts » (ibid.)

La littérature contemporaine fait également usage du motif de la femme que la circulation de ses lettres a compromise. La situation de la maîtresse confondue par ses billets apparaît à plusieurs reprises, entre autres dans Le Misanthrope de Molière (voir également ici).

Enfin, deux textes au moins font référence à ce phénomène d’actualité par leur procédé de publication même. Si l’on ne compte pas le nombre de fictions qui paraissent alors sous couvert d’authenticité (au premier rang de ceux-ci, les recueils de lettres qui se revendiquent comme une correspondance réelle), deux recueils donnent à l’inquiétude concernant la publication des billets amoureux un écho tout à fait particulier.

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