Molière au début des années 1660

Au moment où Donneau de Visé fait paraître ses Nouvelles Nouvelles, le parcours et la réussite de Molière constituent un sujet d’étonnement et de fascination bien au-delà des cercles qui constituent le public du théâtre et de la littérature.

Depuis son établissement à Paris dans les derniers mois de 1658, la troupe protégée par « Monsieur, frère du roi » est parvenue à s’imposer comme le lieu de spectacle à la mode, l’endroit où on se presse, à la fois parce qu’on y trouve une offre théâtrale répondant de manière innovante au goût d’un public qui se veut « moderne », et parce qu’on constate que c’est là qu’incline la faveur des élites.

Ce succès, qui passe pour prodigieux, voire scandaleux, repose essentiellement sur la réception très favorable que connaissent les pièces que le chef de troupe compose lui-même, brouillant ainsi les frontières qui traditionnellement marquent la séparation entre créateurs de textes (auteurs) et interprètes (comédiens).

Trois étapes peuvent être identifiées dans cette conquête du succès qui aboutira à L’Ecole des femmes :

Les indices du succès

Le succès fulgurant de la troupe de Molière se traduit tout d’abord dans la progression des recettes de la troupe. Les chiffres sont à cet égard révélateurs. A Pâques 1660, fin de la saison théâtrale, chaque comédien s’est vu gratifier d’une somme de 2995 livres (part annuelle). Deux ans plus tard, à Pâques 1662, cette somme se monte à 4310 livres. Jusqu’en novembre 1659, la meilleure recette de séance se monte à 393 livres (3 août, L’Héritier ridicule de Scarron) et rares sont les sommes supérieures à 250 livres. A la suite des Précieuses ridicules, les maxima peuvent atteindre 1400 livres (2 décembre 1659, 17 février 1662) et les recettes supérieures à 350 livres sont devenues la norme. Un nouveau palier sera franchi avec L’Ecole des femmes, qui alignera des séries de représentations supérieures à 1000 livres au cours de l’année 1663.

Autre révélateur de ce succès : la faveur des puissants, en particulier du roi. Elle se traduit par les régulières visites (représentations « à domicile », dans les demeures princières et les hôtels particuliers), auxquelles est conviée la troupe. Ces invitations s’étendent même aux fêtes estivales, dont Fouquet établit le modèle en août 1661 (occasion de la création des Fâcheux), et que Louis XIV établira à un niveau encore supérieur avec Les Plaisirs de l’Ile enchantée en mai 1664 (Molière y créera à cette occasion La Princesse d’Elide et y présentera une première mouture du Tartuffe). Mais la faveur royale se révèle également dans le soutien apporté à l’implantation de la troupe : lorsque la salle du Petit-Bourbon sera inopinément mise en démolition en octobre 1660, le souverain veillera personnellement à une solution permettant de maintenir Molière et ses comédiens dans la périphérie du Louvre, en leur accordant la salle du Palais-Royal.

Dernier indice enfin : l’effervescence de publication qui entoure les comédies de Molière. Dès Les Précieuses ridicules, le texte donné en scène fait l’objet de tentatives de captations et de reprises sous diverses formes : récits manuscrits ou imprimés (Récit de la farce des Précieuses par Mlle Desjardins), éditions subreptices (qui contraignent Molière à se lancer à son tour dans la publication de textes qu’il ne destinait apparemment pas à l’impression, comme Les Précieuses ridicules ou Le Cocu imaginaire), « produits dérivés » de toutes sortes, à l’instar des Précieuses ridicules mises en vers ou de La Cocue imaginaire.
Le succès de ces textes imprimés amène Molière à donner aux presses également deux de ses propres pièces, piliers de son répertoire (L’Etourdi et le Dépit amoureux), qu’il n’avait pas jugé nécessaire jusqu’ici de transformer en livre. C’est ainsi qu’à la fin 1662, le comédien a acquis bon gré mal gré un statut d’auteur à succès : il peut se targuer d’avoir publié six pièces en deux ans (dont certaines, au premier rang desquelles Les Précieuses ridicules, se sont révélées des succès de librairie) et de se trouver à l’origine de la vogue de sujets à la mode tels que la préciosité ou le cocuage.

Les raisons du succès

Elles résident en premier lieu dans la nature et le contenu des spectacles, qui retiennent l’attention par les innovations suivantes :

Toutefois le succès fulgurant de Molière et de sa troupe repose également sur l’adoption d’une attitude différente à l’égard de la création théâtrale :

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