Les sources de L’Ecole des maris et de L’Ecole des femmes selon Donneau de Visé

A la p. 232 du t. III des Nouvelles Nouvelles, Donneau de Visé, dans la bouche du nouvelliste Straton, indique plusieurs sources à L’Ecole des maris et à L’Ecole des femmes :

Le sujet de ces deux pièces n'est point de son invention, il est tiré de divers endroits, à savoir de Boccace, des contes de d’Ouville, de La Précaution inutile de Scarron. Et ce qu'il y a de plus beau dans la dernière est tiré d'un livre intitulé Les Nuits facétieuses du seigneur Straparole, dans une histoire duquel un rival vient tous les jours faire confidence à son ami, sans savoir qu'il est son rival, des faveurs qu'il obtient de sa maîtresse, ce qui fait tout le sujet et la beauté de L'École des femmes.

L’Ecole des femmes

Un examen détaillé (voir C. Bourqui, Les Sources de Molière, Paris, SEDES, 1999, p. 107-116) confirme que la comédie est véritablement redevable à deux des textes que désigne Donneau de Visé :

L’Ecole des maris

Les indications à l’égard de L’Ecole des maris sont moins concluantes.

Sans doute Donneau fait-il allusion, en invoquant Boccace, à la nouvelle III, 3 du Décaméron, dont la traduction d’Antoine Le Maçon venait de paraître « nouvellement corrigée » en 1662 (voir Les Sources de Molière, p. 54-57). L’un des nombreux contes qu’Antoine Le Métel d’Ouville fit publier en recueils (Contes aux heures perdues, Elite des contes) compte-t-il également parmi les « endroits » d’où serait « tirée » la comédie, comme le passage des Nouvelles Nouvelles semble l’indiquer ? cette source en tout cas n’a jamais identifiée à ce jour.

Molière plagiaire ?

En fournissant des indications aussi précises sur les sources de Molière, Donneau vise bien évidemment à faire passer l’auteur de comédies à la mode pour un plagiaire. Certes cette démarche s’accorde parfaitement avec le grief de copiste des Italiens qui lui est également imputé.

Mais, dans l’un et l’autre cas, si l’auteur des Nouvelles Nouvelles s’efforce de trouver des emprunts dissimulés aux créations de Molière, c’est que cette accusation possède, au début des années 1660, une résonance particulière.
La notion de plagiat avait été mise au goût du jour par les reproches adressés de diverses parts à Gilles Ménage, à la suite d’une querelle qui l’avait opposé à l’abbé Cotin. Ménage s’était acquis de longue date la réputation d’un auteur « pillard » et l’occasion de la dispute fournissait une bonne occasion de le lui rappeler. Ainsi, dans un passage de son pamphlet intitulé La Ménagerie (vers 1660), Cotin avait relevé et mis en évidence avec précision la manière dont son adversaire avait exploité une épigramme de Catulle sans indiquer sa provenance. Dans un geste quasi philologique, il portait à la connaissance du public les textes sur lesquels s’était fondé Ménage, tout en associant cette révélation à une dénonciation du procédé illégitime.
C’est bien la même démarche qu’on reconnaît chez Donneau de Visé : les sources de Molière sont non seulement indiquées au prix d’une énumération digne d’un ouvrage savant, mais, de plus, l’information se présente comme une forme de dévoilement de ce qui était resté jusque-là frauduleusement dissimulé.

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