Stilicon

Tragédie de Thomas Corneille, créée à l’Hôtel de Bourgogne le 27 janvier 1660, avec un succès qui en fait l’événement majeur de la saison 1659-1660, en compagnie des Précieuses ridicules de Molière.

Le sujet, qui met en scène des jeux de pouvoir au sein de la cour impériale de Rome au début du Ve siècle, est également exploité, à la même époque, dans le roman Faramond ou l’Histoire de France de La Calprenède (achevé d’imprimer le 13 mars 1661).

Stilicon et les Nouvelles nouvelles

Deux vers (v. 435-436, sc. I, 6) de cette tragédie sont invoqués à deux reprises dans les Nouvelles nouvelles en tant qu’exemples de « pensées » (t. II, p. 114 et p. 122), au même titre que ceux tirés de La Mort de l’empereur Commode.

Mais surtout la « scène du favori » et la « scène de Placidie » présentent des similitudes frappantes avec une partie de l’intrigue et certaines scènes de Stilicon.

Outre le fait que l’héroïne de la tragédie du jeune Corneille porte le nom de Placidie, c’est surtout la configuration des rapports entre les personnages qui est troublante.

Stilicon met en scène l’amour d’un homme de cour, dont le statut est d’une légitimité contestable (il doit sa position à la faveur que son père, par ses exploits, s’est acquise auprès de l’empereur) pour la soeur de l’empereur, qui refuse le principe de cette « union inégale » (I, 1, v. 17) et inflige « un traitement si rude  » (v. 25) à son soupirant. Dans sa recherche, le jeune homme est aidé par sa soeur, elle-même épouse de l’empereur. Il est toutefois réticent à faire usage du pouvoir que lui a conféré l’empereur Honorius en « autorisant son choix » (I, 2, v. 115).

On reconnaît les données que fournit Ariste au moment de présenter les scènes qu’il se propose de lire (p. 131) (on notera que le nom de Placidie, dans la version de Donneau, est attribué à un personnage différent) :

Les Nouvelles nouvelles
« Scène du favori » et « scène de Placidie »
Thomas Corneille
Stilicon
Le FavoriEucherius
La PrincessePlacidie
PlacidieThermantie, soeur d’Honorius
Le RoiHonorius

La tragédie de Thomas Corneille offre, par ailleurs, deux scènes équivalentes à celles de Donneau. On y retrouve :

Les deux Stilicon ?

Comment expliquer cette coïncidence ?
Donneau s’est-il livré à une variation sur une pièce à succès, exploitant les scènes à faire et mettant à profit le potentiel qu’elle offrait en convertissant le héros en favori - ce qui offrait, entre autres, l’occasion de tenir un discours fort politique sur l’ « art de régner » ? S’est-il contenté d’assembler des motifs à la mode sans s’apercevoir qu’il retrouvait inévitablement les traces du dramaturge le plus en vogue ?

Une autre explication mérite d’être avancée. Les deux scènes de Donneau sont peut-être les fragments d’une tragédie sur le sujet de Stilicon, concurrente de celle de Thomas Corneille, qui n’aurait pas été imprimée, soit parce que la pièce n’aurait suscité l’intérêt d’aucune troupe de comédiens, soit parce que l’auteur novice, n’étant pas parvenu à mener à terme ce premier essai, aurait renoncé à donner son texte à la scène. L’auteur des Nouvelles Nouvelles recyclerait ainsi un texte inédit, selon un procédé auquel recouraient souvent ses contemporains (pensons à l’usage que fait Molière des scènes de Don Garcie de Navarre fondues au sein du Misanthrope).

L’hypothèse est d’autant plus vraisemblable que la concurrence d’un second Stilicon est évoquée par Thomas Corneille lui-même dans une lettre à l'abbé de Pure du 1er décembre 1659. La tentative est mise au compte de Magnon qui, sollicité sur cette question, répond qu’il n’a pas de projet de cette nature.

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